Exposition "Zoo" mars - avril 2018
J'exposerai toiles et dessins récents à la galerie Corinne Bonnet, du 29 mars au 28 avril 2018.
« Zoo » par Lucie Servin* (mars 2018)
Il était une fois un patriarche exhibant en trophée la tête coupée d’un oryx mutant, de face dans la posture autoritaire des détenteurs de la vérité. Une femme chevauche un homme-dragon en route vers le futur, une autre regarde en biais deux oiseaux ficelés à ses bras ; une autre se branle sans conviction sur un cerf au milieu d’un marécage. Comme les contes qui portent en eux leur lot de mystère, d’angoisse et de merveilleux, les toiles d’Anne Van der Linden racontent des histoires.
Des fables sans moralité qu’on lit avec les yeux, des histoires qu’on ne dit pas, mais des histoires qui s’impriment instantanément lorsque le regard se pose sur ces figures grotesques chargées d’une symbolique obscène, court-circuitant tous les tabous. L’artiste tire les cartes de ses questionnements métaphysiques à la vie à la mort, confronte douleur et jouissance, en livrant une vivisection joyeuse des affects dans une atmosphère de carnaval.
Les figures occupent toujours toute la place sur un fond dont la tonalité chromatique renforce le relief et la luminosité. Les femmes sont omniprésentes, puissantes et vivantes, elles affirment une force de combat, dans l’exhibition d’une sexualité frontale sans érotisme ni suggestion. Les chairs roses se découpent sur des bleus vibrant d’éclats mauve, jaune, vert ou rouge dans l’exacerbation émotionnelle. Parfois, quelques indices permettent d’expliciter une relation spatiale ou symbolique sans perspectives artificielles. Anne peint ce qu’on ne saurait dire, un dithyrambe qui s’exprime en débordement de sécrétions et de mutilations colorées. « Je me raconte sans fard comme si j’avais besoin de donner à voir ma version des faits. Je pars d’une idée et je me laisse prendre à mon propre jeu.» explique-t-elle.
Aux origines, dans son petit intérieur coquet, une femme lèche les fesses poilues du singe savant monté sur la table basse, qui se retourne vers le spectateur dans un regard de défi et de proposition. Ailleurs, une singesse à trois mamelles, maternelle et castratrice, donne une leçon d’éducation sexuelle en cueillant des couilles à l’arbre de la connaissance et en caressant à ses pieds les cheveux d’une jeune naïve civilisée. Les rôles s’inversent pour mieux rendre évident l’oxymore originel d’une humanité civilisée face à une nature sauvage, quand la cruauté humaine dépasse en violence toutes les sauvageries, ramenant l’homme à ses faux-semblants.
« Zoo » comme dans « zoomorphisme », dans l’œuvre d’Anne Van Der Linden, les figures humaines se métamorphosent, ou plutôt réincarnent leur animalité première. Au programme, de « ce retour à la bête», la révélation d’une mythologie intime qui sert à l’expression exubérante des désirs, témoin des capacités illimitées de l’imagination.
Comme la couleur, les animaux sont vocabulaire ; le savoir des singes, la menace des oiseaux, la soumission des dragons, la vitalité sexuelle d’un cerf, le danger protecteur et la duplicité féline, la lubricité des poissons, ou encore le détachement d’une vache indifférente qui se fait manger les côtes sur le dos. L’animal dans l’image accompagne toujours la figure, actif ou passif, il incarne et révèle une pulsion ou un refoulé.
L'artiste a choisi dans cette série de creuser en conscience une thématique omniprésente et constitutive de son travail qui place l’animal au cœur de sa création et procède de la mise à nu des identités animales, en libérant les personnalités fabriquées et travesties par les attributs sociaux.
Les influences se mêlent. La composition des images emprunte à la renaissance italienne et flamande dans une mise en scène qui rappelle les gravures anciennes. Au niveau formel comme le Douanier Rousseau qui s’inspirait d’un catalogue des Galeries Lafayette pour dessiner les bêtes exotiques de ses tableaux, Anne pioche dans les livres d’anatomie et de photographies d’animaux, associant les images à des souvenirs personnels ou à l’actualité, juxtaposant les éléments du plus anodin au plus sérieux pour faire naître spontanément l’idée dans des rapports de forme. Un collage graphique d’abord réalisé au dessin et à la plume que l’artiste retranscrit ensuite sur ses toiles.
En enveloppant de chair acrylique les ossatures de ses récits dessinés, elle amène des variantes, qui altèrent et recréent d’autres histoires, déjouant l’intention primordiale, au gré des entraves formelles et des sursauts de l’imaginaire. Animaux mutants, êtres hybrides, dominants ou dominés, prédateurs ou agressés, qu’elles soient animal sauvage ou animal de compagnie, viande ou trophée, les bêtes concrétisent un sentiment, un caractère ou un état d’esprit. Elles sont les témoins d’un monde intérieur où le langage n’est plus source de malentendu, et où s’expriment librement dans la violence des formes les dissonances du réel. Une force totémique qui appelle à la libération sauvage, à la grande échappée du zoo »
* Lucie Servin est historienne et journaliste spécialisée en bande dessinée. Elle écrit actuellement dans Les Cahiers de la BD, ainsi que dans le quotidien L’Humanité. Depuis 2013, elle anime également les pages d’un blog consacré à la bande dessinée : Le Calamar noir.
« Zoo » par Lucie Servin* (mars 2018)
Il était une fois un patriarche exhibant en trophée la tête coupée d’un oryx mutant, de face dans la posture autoritaire des détenteurs de la vérité. Une femme chevauche un homme-dragon en route vers le futur, une autre regarde en biais deux oiseaux ficelés à ses bras ; une autre se branle sans conviction sur un cerf au milieu d’un marécage. Comme les contes qui portent en eux leur lot de mystère, d’angoisse et de merveilleux, les toiles d’Anne Van der Linden racontent des histoires.
Des fables sans moralité qu’on lit avec les yeux, des histoires qu’on ne dit pas, mais des histoires qui s’impriment instantanément lorsque le regard se pose sur ces figures grotesques chargées d’une symbolique obscène, court-circuitant tous les tabous. L’artiste tire les cartes de ses questionnements métaphysiques à la vie à la mort, confronte douleur et jouissance, en livrant une vivisection joyeuse des affects dans une atmosphère de carnaval.
Les figures occupent toujours toute la place sur un fond dont la tonalité chromatique renforce le relief et la luminosité. Les femmes sont omniprésentes, puissantes et vivantes, elles affirment une force de combat, dans l’exhibition d’une sexualité frontale sans érotisme ni suggestion. Les chairs roses se découpent sur des bleus vibrant d’éclats mauve, jaune, vert ou rouge dans l’exacerbation émotionnelle. Parfois, quelques indices permettent d’expliciter une relation spatiale ou symbolique sans perspectives artificielles. Anne peint ce qu’on ne saurait dire, un dithyrambe qui s’exprime en débordement de sécrétions et de mutilations colorées. « Je me raconte sans fard comme si j’avais besoin de donner à voir ma version des faits. Je pars d’une idée et je me laisse prendre à mon propre jeu.» explique-t-elle.
Aux origines, dans son petit intérieur coquet, une femme lèche les fesses poilues du singe savant monté sur la table basse, qui se retourne vers le spectateur dans un regard de défi et de proposition. Ailleurs, une singesse à trois mamelles, maternelle et castratrice, donne une leçon d’éducation sexuelle en cueillant des couilles à l’arbre de la connaissance et en caressant à ses pieds les cheveux d’une jeune naïve civilisée. Les rôles s’inversent pour mieux rendre évident l’oxymore originel d’une humanité civilisée face à une nature sauvage, quand la cruauté humaine dépasse en violence toutes les sauvageries, ramenant l’homme à ses faux-semblants.
« Zoo » comme dans « zoomorphisme », dans l’œuvre d’Anne Van Der Linden, les figures humaines se métamorphosent, ou plutôt réincarnent leur animalité première. Au programme, de « ce retour à la bête», la révélation d’une mythologie intime qui sert à l’expression exubérante des désirs, témoin des capacités illimitées de l’imagination.
Comme la couleur, les animaux sont vocabulaire ; le savoir des singes, la menace des oiseaux, la soumission des dragons, la vitalité sexuelle d’un cerf, le danger protecteur et la duplicité féline, la lubricité des poissons, ou encore le détachement d’une vache indifférente qui se fait manger les côtes sur le dos. L’animal dans l’image accompagne toujours la figure, actif ou passif, il incarne et révèle une pulsion ou un refoulé.
L'artiste a choisi dans cette série de creuser en conscience une thématique omniprésente et constitutive de son travail qui place l’animal au cœur de sa création et procède de la mise à nu des identités animales, en libérant les personnalités fabriquées et travesties par les attributs sociaux.
Les influences se mêlent. La composition des images emprunte à la renaissance italienne et flamande dans une mise en scène qui rappelle les gravures anciennes. Au niveau formel comme le Douanier Rousseau qui s’inspirait d’un catalogue des Galeries Lafayette pour dessiner les bêtes exotiques de ses tableaux, Anne pioche dans les livres d’anatomie et de photographies d’animaux, associant les images à des souvenirs personnels ou à l’actualité, juxtaposant les éléments du plus anodin au plus sérieux pour faire naître spontanément l’idée dans des rapports de forme. Un collage graphique d’abord réalisé au dessin et à la plume que l’artiste retranscrit ensuite sur ses toiles.
En enveloppant de chair acrylique les ossatures de ses récits dessinés, elle amène des variantes, qui altèrent et recréent d’autres histoires, déjouant l’intention primordiale, au gré des entraves formelles et des sursauts de l’imaginaire. Animaux mutants, êtres hybrides, dominants ou dominés, prédateurs ou agressés, qu’elles soient animal sauvage ou animal de compagnie, viande ou trophée, les bêtes concrétisent un sentiment, un caractère ou un état d’esprit. Elles sont les témoins d’un monde intérieur où le langage n’est plus source de malentendu, et où s’expriment librement dans la violence des formes les dissonances du réel. Une force totémique qui appelle à la libération sauvage, à la grande échappée du zoo »
* Lucie Servin est historienne et journaliste spécialisée en bande dessinée. Elle écrit actuellement dans Les Cahiers de la BD, ainsi que dans le quotidien L’Humanité. Depuis 2013, elle anime également les pages d’un blog consacré à la bande dessinée : Le Calamar noir.